Poésie : Toujours cette vie.
A contre-jour L’acte d’écrire muscle. Page basse, rocheuse. Mains gourdes. Cal contre la paroi de la paume. Mot-graine puis pousse, mot-arbuste avec « trace » de premières fleurs. Fruits plus tard, incertains, puis leur chute. A terme, e gué de l’hiver. Dire qu’écrire est soulever la terre, semer, sarcler, tailler, n’est rien. (Encore connaissions-nous élaguer). Parfois c’est tout ensemble, comme il ne se peut sur le sol. * Quand ces actes sur le blanc ne sont pas confondus en un, édifice de strates d’âges différents, elles surviennent dans un ordre rarement connu. Etrange espace du poème où élaguer avant semer se peut, et se doit. Cueillir est impossible. Ne pas retourner l’air, mais la terre des mots. La plume fait un poids, qui augmente dans le temps du poème avec la quantité de matière déplacée. La page, à l’intérieur de ses contours, est immense. Parfois des hectares, pour un seul homme. Après le cœur, plume ou clavier sont seuls outils. Impossible mécaniser. Intemporels, jamais modernisables. * Si la main, végétale aussi, s’enracinait sur cette feuille de deux grammes, urgence la déterrer, nulle chimère ne devant noircir l’aubier. L’espace étant ici pain d’autrui, sa présence, ne pas trop resserrer les mots plus que des plants ; ils encourraient le même risque de périr. Malgré leurs convergences, page de champ reste contraire. * Ne s’y trouvent que mises en garde contre écueils. Langage inversement photographique où suppression est mode de rajout. Vainement, avant-bras et biceps se tendent. Reins se courbaturent. A la précarité multiple du poème nous n’opposons qu’une passion de l’inaccessible ; une certitude sans preuves de le réduire, tant que l’à peine perceptible peut suffire. * La page a ses réactions souterraines, happe les mots dans ses fissures s’y ouvrant avec le soudain de la foudre. Une construction s’y affaisse. Ruines rasées, inaccessibles pour la main. Piller serait mourir. Prendre mutilerait et fixerait là le poète. Sa page immobile il s’y engouffre, par chaque pore. Sang d’encre. En forer la fraction de millimètre plus profonde qu’un bras tendu. Cela, non dans quelque manie de prévoyance mais pour que le verbe soit une beaume, un habitat encastré dans la paroi rocheuse. Accueil du récif de la page, haine de tout confort mental. Vrai homme du désert ne se complairait pas à l’oasis sans se nuire, même s’il la tire de lui. * Sans verdoyance mais non sans verdeur. Les poéticulteurs y ont peu d’aise. Le plus fréquent peut-être est la claustrophobie. (Certains agoraphobes absorbent l’immensité blanche autour du mot) Le relief de la page est hostile aux objets lancés de toute planètelongtemps en arrêt sur son vide, nommée tête : ratures, rajouts, renvois, copié-collé, signes autres. Procédés ici-bas étrangers à ce blanc palpable, atmosphérique. * Forcer la page invisiblement veinulée, contre sa tension de caillou. L’irriguer de tout notre suc : la poésie s’insémine en un viol, pourtant consenti ; ne se renverse contre page, ne se livre, ne s’ouvre, qu’après combats desquels l’issue reste provisoire. Empreintes de pas intérieurs, parcelles à toujours conquérir. Cadastre ne déclinant aucune propriété bien qu’il en livre avec netteté les origines. |
Alchimie du silence Non prononcés aussi, les mots brisent un silence de la même façon que des notes non jouées ; dans l’esprit ou le cœur la résonance qui s’ouvre peut transporter le désir jusqu’à l’exaltation. A le lire, on perçoit tout de l’être qui s’exprime ; son débit et ses modulations intonatives, ses gestes même, ses façons de rester muet, son regard, tout s’infiltre dans son toucher du verbe ; la lecture s’apparente aussi au corps à corps. D’où qu’elle soit à l’opposé de toute vitesse ; aimer se développe, s’apprend aussi, se creuse ; longtemps, notre approche oculaire s’approfondit avant que la fusion s’opère ou non, sans réserve. Jusqu’au frôlement presque, si près de la caresse parfois, une page lue c’est en fermant les yeux qu’on la laisse déployer son charme au fond de l’âme ; fin du poème : proche d’une petite mort. |
D’une rampe (d’élancements) |
Essayage Des gants dépareillés sur la promenade du chien, Ils demeurent à peine visibles comme des squames Peut-être à ne les point considérer aurions-nous tort Il est frappant que jamais le gant droit ni le gant gauche Jeté ou juste perdu, tel, de bonne qualité, |